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09 Apr 2017

"Dear darkness" de PJ Harvey : la chanson qui berce mes nuits

Vous le savez sûrement, sur ce blog il n'y aura jamais de chansons joyeuses et de mélodies entraînantes. Pas de petit bonhomme en mousse, de danse des canards ou de chenille qui redémarre.

Ici, on fait dans le sombre et le mélancolique. La preuve avec cette magnifique et poignante chanson de PJ Harvey. 

"Dear darkness" accompagne fréquemment mes séances d'écriture nocturnes, et ce depuis plusieurs années.

Je vous laisse (re)découvrir ce morceau envoûtant, qui nous entraîne dans de splendides ténèbres.  

   

08 Apr 2017

"Laisse-moi entrer" de John Ajvide Lindqvist : l'anti "Twilight"



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Depuis longtemps, je me passionne pour le paranormal, les mythes et légendes et les superstitions liées à la mort. De fait, je connais assez bien le thème des vampires. Je me suis intéressée de près à de célèbres affaires de vampirisme (Arnold Paole, Peter Plogojowitz, le cimetière d'Highgate...) et j'ai bien évidemment lu le fameux "Dracula" de Bram Stoker, ainsi que le non moins fameux "Carmilla" de Sheridan Le Fanu.

Je vous laisse donc imaginer ma consternation lorsque j'ai lu "Twilight"(longtemps après sa sortie). J'ai bien failli faire une syncope en découvrant que Stephenie Meyer avait transformé les vampires en gravures de mode, qui brillent au soleil et subjuguent de petites lycéennes influençables. 

Pour conjurer le traumatisme, je suis partie en quête d'autres romans traitant du même sujet et j'ai arrêté mon choix sur "Laisse-moi entrer" de John Ajvide Lindqvist.

J'avais vu le film "Morse", tiré de ce roman, et l'avais beaucoup apprécié. J'étais donc curieuse de découvrir le livre qui en était à l'origine.

"Laisse-moi entrer" met en scène un garçon de treize ans, Oskar, affublé d'un léger embonpoint et persécuté par ses camarades de classe, qui vit seul avec sa mère dans une sinistre banlieue de Stockholm. Ce n'est pas la grosse marade tous les jours, loin de là. Entre les moqueries des autres élèves, la solitude et la grisaille ambiante, l'ambiance est plutôt déprime et Prozac que champagne et cotillons. Mais tout change lorsqu'Oskar fait la connaissance d'Eli, sa nouvelle voisine. Auprès de cette étrange jeune fille qui dégage une odeur bizarre, ne sort que la nuit et semble insensible au froid, le garçon fait l'expérience des premiers émois et découvre les joies de l'amitié. Mais, pendant que les deux adolescents se découvrent et s'apprivoisent, des meurtres atroces sont perpétrés dans le quartier. Et si Eli n'était pas étrangère à ces crimes ?

Tout à la fois thriller fantastique et roman d'apprentissage, "Laisse-moi entrer" oscille sans cesse entre surnaturel et réalisme cru. En abordant des sujets tels que le harcèlement scolaire, la pédophilie et la misère sociale, John Ajvide Lindqvist ancre son intrigue dans le réel et donne ainsi une dimension supplémentaire à cette passionnante histoire de vampires.

Violent, sombre et teinté de désespoir, "Laisse-moi entrer" n'est pourtant pas dépourvu de poésie. John Ajvide Lindqvist fait pousser des fleurs dans le bitume, allume une lueur au plus noir des ténèbres et débusque la tendresse là où on ne s'attend pas à la trouver.

Captivant, ce roman aborde le thème des vampires d'une façon résolument moderne mais sans toutefois se détourner du mythe originel.

Un livre qui se situe donc très très loin de "Twilight"... et c'est tant mieux !

Quelques extraits :

"C'était l'un des rêves d'Oskar : assister à l'exécution de quelqu'un sur la chaise électrique. Il avait lu que le sang se mettait à bouillir et que le corps se contorsionnait selon des angles impossibles. Il imaginait également que les cheveux de la personne prenaient feu mais il ne disposait d'aucune description écrite de ce phénomène. Quand même, c'était géant !"

"Elle tendit la main et attrapa la sienne. Il s'arrêta complètement et la regarda. Le visage d'Eli était presque complètement dans l'ombre avec les fenêtres éclairées derrière elle. Bien sûr, ce n'était que son imagination mais il eut l'impression que ses yeux brillaient. En tout cas, ils étaient la seule partie de son visage qu'il puisse clairement distinguer.
De son autre main, elle toucha sa plaie, et cette chose étrange se produisit. Quelqu'un d'autre, une personne beaucoup plus âgée et plus dure, fit son apparition sous la surface de sa peau. Un frisson parcourut le dos d'Oskar comme s'il avait croqué un glaçon." 

26 Mar 2017

La photographie post-mortem : portrait d'une autre époque

Avertissement : les photographies qui illustrent cet article peuvent heurter les âmes sensibles.

Aujourd'hui j'ai choisi de vous parler d'une coutume tombée en désuétude à laquelle je m'intéresse depuis des années : la photographie post-mortem. Comme son nom l'indique, il s'agissait de prendre les morts en photo avant leur inhumation. 

Si, de nos jours, ces photographies peuvent paraître dérangeantes et même franchement macabres, elles n'en constituent pas moins un témoignage saisissant des mœurs et habitudes des ères victorienne (1837-1901) et edouardienne (1901-1910). Ces images nous offrent une véritable plongée dans le passé, aussi passionnante qu'insolite.

Cette pratique fut particulièrement répandue en Angleterre, ainsi que dans le reste de l'Europe et en Amérique du Nord. 

À l'époque, le rapport à la mort était très différent d'aujourd'hui. La mortalité infantile élevée, l'accès limité aux soins médicaux pour les plus démunis, les épidémies (notamment la tuberculose), occasionnaient de très nombreux décès. La mort faisait intégralement partie de la vie et, contrairement à aujourd'hui, n'était pas cloisonnée, soustraite aux regards. Après leur décès, les défunts demeuraient la plupart du temps à leur domicile jusqu'à la levée du corps. L'utilisation de morgues ou de funérariums était encore marginale, en particulier dans les campagnes. 

Il n'était pas rare que, dans les logements modestes, les vivants partagent leur lit avec le mort jusqu'aux obsèques.      


La photographie post-mortem a contribué à réduire encore davantage la distance entre les défunts et les vivants. 


Du fait de l'influence exercée à cette époque par la religion, la mort n'était pas considérée uniquement comme un drame ou une injustice, mais aussi comme la possibilité de trouver enfin le repos et la paix éternelle. La vie des classes moyennes et pauvres était rude, faite de labeur, de difficultés quotidiennes, et bien souvent marquée par la maladie. De fait, le paradis tel qu'il est décrit par la religion apparaissait, pour beaucoup de gens de l'époque, comme la récompense ultime. Ainsi, le passage dans l'autre monde pouvait être perçu comme une bénédiction, une façon d'accéder à une félicité que n'offrait pas la vie terrestre. 



Issue de la tradition ancestrale du memento mori, la photographie post-mortem permettait non seulement de conserver un souvenir du défunt, mais également de rappeler aux vivants la fragilité de leur condition de mortels, la précarité de l'existence et la possible perspective d'un ailleurs exempt de souffrances.

Cette pratique faisait donc écho, là aussi, aux préceptes religieux, qui préconisent une constante humilité face à Dieu et à ses volontés.


C'est Louis Daguerre, qui, en 1839, a permis de démocratiser la photographie et de la mettre à la portée des classes moyennes.

Néanmoins, quoique plus répandue qu'auparavant, la photographie demeurait relativement chère. Ainsi, beaucoup ne consentaient à cette dépense que pour une occasion unique - c'est-à-dire, dans bien des cas, un décès. Certaines familles ne possédaient pas de portraits de leurs enfants vivants, mais conservaient d'eux des photographies post-mortem. Photographier les défunts devint un rite courant, parfois accompagné d'une complexe mise en scène. Des dispositifs permettaient de maintenir les morts debout, et les enfants étaient bien souvent photographiés les yeux ouverts, installés au milieu de leurs jouets, en compagnie de leurs frères et sœurs ou dans les bras de leurs parents.


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L'on peut supposer qu'à travers ces mises en scènes, les vivants avaient le sentiment de n'être pas complètement impuissants face à la mort, d'avoir sur elle un certain contrôle, aussi ténu et incomplet soit-il.

Peut-être était-ce là, en fin de compte, la véritable vocation de cette pratique : apprivoiser la peur de la mort qui, malgré le paradis promis par la religion, n'en demeure pas moins profondément ancrée dans chaque être humain.


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Les nouvelles pratiques funéraires (l'avènement des morgues, les nouvelles méthodes de conservation des corps, un souci accru de l'hygiène...), ainsi que l'allongement de l'espérance de vie contribuèrent à la fin de la photographie post-mortem, qui s'est considérablement raréfiée au fil du temps. 

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19 Feb 2017

"Wuthering Heights" de Kate Bush : quand la musique rencontre la littérature

Une chanson qui mêle le talent de Kate Bush à l'un des plus grands romans de la littérature anglaise, forcément, ça ne peut être qu'un chef-d'oeuvre ! La preuve avec "Wuthering Heights", ce magnifique morceau qui rend un vibrant hommage au roman d'Emily Brontë.

C'est pas pour me la péter, mais quand même... nous autres anglais, on a vraiment la classe !

  

16 Feb 2017

"Une vie entre deux océans" de M.L. Stedman : le bébé de la discorde


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Voilà un livre à côté duquel je suis complètement passée à sa sortie. Comme vous le savez sans doute si vous lisez mon blog, je suis assez sujette à la nostalgie et penche très fortement vers le passé, en particulier en ce qui concerne la littérature. Je ne lis que très peu de contemporains, hormis un petit cercle d'écrivains majoritairement anglo-saxons : Joyce Carol Oates, Laura Kasischke, John Irving, Joanna Trollope, Stephen King, Tracy Chevalier, Edna O'Brien et quelques autres. Vous remarquerez d'ailleurs que ce ne sont pas des perdreaux de l'année, puisque la plupart d'entre eux ont allègrement dépassé la soixantaine.

Globalement, je me méfie donc des nouveaux et jeunes auteurs, et je me méfie encore plus des best-sellers. "Une vie entre deux océans" n'avait donc a priori rien pour me séduire, puisque c'est un premier roman et qu'il s'est écoulé à plusieurs millions d'exemplaires. Mais une amie me l'a collé dans les mains en m'ordonnant de le lire, et comme j'avais une bonne gueule de bois et pas assez d'énergie pour protester j'ai dit : "d'accord, mais maintenant va-t-en et laisse moi cuver mon whisky ou je te vomis dessus".

Moralité, elle est partie et j'ai lu le livre. 

Alors, tout d'abord, résumons brièvement le roman pour ceux qui comme moi sont passés à côté de ce phénomène d'édition : Tom Sherbourne, marqué par les horreurs de la première guerre mondiale, rentre en Australie et devient gardien de phare. Sa femme Isabel et lui s'installent sur l'île de Janus, sauvage, désolée et coupée du monde.

Le couple serait parfaitement heureux s'il n'y avait un désir d'enfant perpétuellement contrarié, un désir profond de fonder une famille qu'ils ne parviennent pas à concrétiser. 

Jusqu'au jour où une embarcation s'échoue sur le rivage, avec à son bord un homme décédé et un bébé.

Tom et Isabel décident alors de ne pas signaler l'incident et de garder la petite fille, sans se douter des conséquences que cela va engendrer...

Bon, premier point négatif, le désir d'enfant est un sujet qui ne me touche absolument pas. J'ai horreur des mômes, ces petites bêtes braillardes et turbulentes qui crient, pleurent, réclament, exigent, se roulent par terre et empiètent sans vergogne sur votre espace vital. Je mourais d'envie de dire à Isabel et Tom : "Eh, vous êtes peinards, vous pouvez baiser dans toutes les pièces, faire la grasse matinée, vous baignez nus, vivre libre, pourquoi vous tenez absolument à vous reproduire ?" C'est vrai quoi, quand quelqu'un me dit qu'il veut un enfant j'ai toujours l'impression d'entendre : "s'il vous plait, je n'en peux plus de la liberté, laissez-moi entrer en prison ! Donnez-moi une peine à perpétuité !"

Bref, tout ça pour dire que c'était pas gagné niveau identification avec les personnages.

Et c'était pas gagné non plus niveau style, puisque j'ai trouvé celui de M.L. Stedman quelque peu faiblard, si simple qu'il en devient simpliste, et parfois maladroit.

Pourtant, je dois bien l'avouer, je me suis laissée emporter par "Une vie entre deux océans". Page après page, je me suis prise de passion pour l'histoire de ce couple qui se débat avec ses propres mensonges et les événements terribles qu'ils ont provoqué. 

Ce n'est pas de la grande littérature, ce n'est pas du Steinbeck ou du Carson McCullers, mais ce livre procure un agréable moment de détente et de distraction.

Idéal, donc, pour meubler quelques heures de libre ou un voyage en train.

Quelques extraits :

"Janus Rock, c'était deux cent cinquante hectares de verdure, avec de l'herbe juste suffisante pour nourrir quelques moutons, des chèvres et une poignée de poulets, et assez de bonne terre pour cultiver un potager rudimentaire. Les seuls arbres de l'île étaient deux hauts pins de Norfolk plantés là par l'équipe d'ouvriers venus de Point Partageuse pour construire le phare et ses dépendances plus de trente ans auparavant, en 1889."

"Tom n'est pas un de ces hommes dont les jambes ne tenaient plus que par des écheveaux de tendons, ou dont les entrailles s'échappaient en cascade de leur corps comme des anguilles gluantes. Ses poumons n'avaient pas non plus été transformés en colle ou son cerveau en bouillie à cause des gaz. Mais il est malgré tout très marqué, puisqu'il doit vivre dans la même peau que l'homme qui a fait toutes ces choses qui ont dû être faites là-bas."         

12 Feb 2017

Christopher McKenney : le photographe de l'angoisse

Il y'a peu, je suis tombée amoureuse. C'était un soir comme les autres, je surfais tranquillement sur Internet, une tasse de thé et une tablette de chocolat à portée de main. Et puis, je l'ai vu. Au détour d'un clic, au hasard d'une page, à la faveur d'un blog (mon Dieu que c'est poétique) il est apparu. Ou plutôt elle. 

Une photographie. Une superbe image, si saisissante que j'en suis restée bouche bée. 

C'était comme si l'auteur de cette photo avait lu en moi, vu mes cauchemars, et qu'il les avait restitués à l'aide de son appareil-photo.

J'ai bien failli en recracher mon chocolat. À ce propos, ça m'est déjà arrivé une fois. Je mangeais une délicieuse tablette de Côte d'Or aux noisettes devant mon ordinateur, quand j'ai tout à coup éternué et... non, laissez tomber, vous n'avez pas besoin de savoir ça. Tout ce que je peux vous dire c'est que ce n'est pas une mince affaire de nettoyer un écran.

Bref, revenons à nos moutons. Ou, en l’occurrence, à nos photographies.

J'ai voulu savoir qui était l'auteur de ces clichés cauchemardesques, délicieusement troublants, qui semblent exprimer nos terreurs les plus primaires et nos instincts les plus sombres.

Et j'ai appris qu'il s'agissait de Christopher McKenney, un jeune américain talentueux à l'univers tourmenté et poétique. 

Voici un petit aperçu de son travail, et si vous voulez en voir plus il vous suffit de vous rendre sur son site : http://christophermckenneyphotos.bigcartel.com/

Et Christopher, si tu me lis : I love you.      











31 Aug 2016

"Gallows" de CocoRosie : une chanson envoûtante

Oui, la musique que j'écoute est rarement joyeuse. C'est vrai, je plaide coupable. J'ai une préférence pour les airs mélancoliques, les chansons tristes, les mélopées pleines de douleur et de regrets... c'est même étonnant que mon lecteur MP3 ne se soit pas encore pendu.

Aujourd'hui, pour ne pas faire exception à la règle, je vous propose une sympathique chanson des CocoRosie au titre évocateur. 

La chanson n'est pas spécialement gaie, le clip non plus, mais c'est magnifique et c'est ce qui compte !





20 Jul 2016

"Jane Eyre" de Charlotte Brontë : sublime et indémodable

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Aujourd'hui, je voudrais vous parler d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Une époque bénie où l'on écrivait encore de vrais livres. Une période merveilleuse où les torchons estampillés "New romance" ne trustaient pas les premières places sur le podium des meilleures ventes. Une ère ô combien regrettée, où la déliquescence culturelle n'avait pas encore poussé la population à ériger comme idoles les analphabètes siliconées de la télé-réalité.

Enfin bref, vous l'aurez compris, ce soir je suis d'humeur nostalgique. Et dans ce cas, je ne connais pas de meilleur remède qu'un bon vieux classique. Se replonger dans le passé par l'intermédiaire d'un chef d'oeuvre de la littérature, pour oublier les turpitudes des temps modernes. 

Cette fois-ci, c'est "Jane Eyre" que j'ai ressorti de ma bibliothèque. Pour ceux qui ne connaîtraient pas l'histoire en détails (j'ose espérer qu'ils sont rares) voilà un court résumé : Jane Eyre, orpheline ayant vécu une triste jeunesse faite de brimades, de privations et de souffrance, est engagée en qualité de gouvernante par le ténébreux Edward Rochester. Bien vite, elle s'éprend de cet homme ombrageux, taciturne, au tempérament aussi rude et austère que les landes qui environnent son manoir. Cet amour s'avère réciproque. et le couple s'apprête à convoler en justes noces. Mais un sombre secret est révélé, contrariant leurs projets et mettant Jane face à un douloureux dilemme...

Dès les premières lignes, Charlotte Brontë nous captive. Son style élégant, riche et soigné mais sans affectation, est si vivant et coloré qu'il nous transporte en quelques instants dans l'Angleterre du XIXème siècle. Impossible de ne pas s'attacher à Jane, impossible de ne pas frémir, aimer et haïr avec elle, tant elle semble réelle, constituée de chair et de sang plutôt que de papier.

Ses hésitations, ses doutes et ses tourments ne peuvent que nous toucher, parce qu'ils sont ceux d'une femme éprise de liberté mais aux prises avec la passion amoureuse ; une femme déchirée entre ses valeurs morales et des sentiments dévorants. Une femme résolument humaine, donc, habitée de contradictions, et dans laquelle chacune d'entre nous peut se reconnaître. 

Et vous savez ce qu'il y'a de merveilleux dans cette sublime histoire d'amour ? C'est que les protagonistes ne sortent pas tout droit d'un magazine de mode. Contrairement aux personnages de "50 nuances de Grey", "Hopeless", "Twilight", "Beachwood Bay" et autres conneries New adult, New Romance, Young adult ou appelez-ça-comme-vous-voulez-on-s'en-fout-complètement, Jane Eyre et Edward Rochester n'ont pas des corps de rêve, des sourires ultra-bright et des abdominaux en béton.

Ils sont ce qu'ils sont, c'est-à-dire imparfaits. Mais c'est comme ça qu'ils s'aiment, et qu'on les aime aussi.

Charlotte Brontë nous rappelle que l'amour n'est pas uniquement la rencontre d'un glorieux bonnet D avec des pectoraux saillants. Il est aussi (et surtout) la rencontre de deux âmes qui se reconnaissent, de deux esprits qui se mêlent, de deux peaux qui s'attirent, bien au-delà de la simple beauté plastique.

Bien qu'il soit un magnifique roman d'amour, "Jane Eyre" est également un livre sauvage, empreint de noirceur, traversé par la maladie, la violence, la folie et la douleur du deuil. Une oeuvre forte et complexe, donc, que je vous invite vivement à découvrir ou à redécouvrir !

Quelques extraits :

"Je ne doutais pas (je n'en ai jamais douté) que, si M. Reed avait vécu, il m'eût traité avec bonté ; aussi à cet instant, tandis que je contemplais le lit blanc et les murs plongés dans l'ombre, non sans tourner aussi de temps à autre un regard fasciné vers le miroir qui luisait obscurément, je commençai à me rappeler ce que j'avais entendu dire de morts qui, troublés dans leur tombe par la violation de leurs dernières volontés, revenaient sur terre pour punir les parjures et venger les opprimés, et je songeais que l'esprit de M.Reed, tourmenté par les torts que subissaient l'enfant de sa soeur, allait peut-être quitter sa demeure (soit dans le caveau de l'église, soit dans le monde inconnu des disparus) et surgir devant moi dans cette chambre."

"Mais à d'autres égards, aussi bien que sur ce point, je devenais très indulgente envers mon maître ; j'oubliais tous ses défauts, que j'avais naguère surveillés d'un œil sévère. Auparavant je m'étais efforcée d'étudier tous les aspects de son caractère, d'en prendre le bon et le mauvais, et après avoir scrupuleusement pesé l'un et l'autre, de me faire une opinion équitable. A présent je ne voyais plus rien de mauvais. Les sarcasmes qui m'avaient rebutée, la rudesse qui m'avait surprise autrefois n'étaient plus pour moi que comme des condiments relevés dans un mets de choix ; leur présence était piquante, mais leur absence eût produit une impression d'insipidité relative."
    

12 Jul 2016

Le petit monde horrifique d'Arthur Tress

Je ne sais pas vous, mais moi, il m'arrive d'être encore hantée par des cauchemars qui datent de mon enfance (névrosée, vous avez dit névrosée ?) Des mauvais rêves si effrayants, si vivaces, qu'ils continuent de me poursuivre des années plus tard.

C'est également le cas d'Arthur Tress, photographe américain né en 1940. Afin de terrasser ses peurs enfantines, il les a mises en scène. Et le résultat, une série intitulée "Dream collection", est aussi horrifique que captivant.

Ces photographies oniriques, qui suintent l'angoisse, nous plongent dans un univers oppressant, plein de ténèbres et de monstres.

Voici un petit aperçu du travail d'Arthur Tress :

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Et vous ? Retrouvez-vous dans ces quelques clichés vos propres cauchemars d'enfant ? 

09 Jul 2016

"Marya" de Joyce Carol Oates : itinéraire d'une fille particulière

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Sachez-le : je suis une inconditionnelle de Joyce Carol Oates. Une vraie groupie. J'achète tous ses livres le jour même de leur sortie, je lis toutes ses interviews, j'ai plusieurs photos d'elle dans mon bureau et je pousse des cris dès que je l'aperçois à la télé ou dans un magazine. Oui, c'est pathétique. Et oui, j'assume. 

Si je n'avais pas peur de passer pour une folle furieuse et de finir en camisole de force, j'érigerais un autel à sa gloire et me prosternerais devant tous les jours.

Parmi tous les merveilleux livres dont elle est l'auteur, j'ai choisi aujourd'hui de vous parler de "Marya" (rebaptisé par la suite "Marya, une vie"). Pas le plus récent mais l'un des plus bouleversants. Et, sans doute, l'un des plus personnels.

Mais commençons si vous le voulez bien par un petit résumé...

Les Knauer, c'est un peu la famille Bidochon. En plus sordide. Le père, Joe Knauer, passe son temps à écumer les bistrots et à chercher la bagarre. Jusqu'au jour où une rixe plus violente que les autres le conduit tout droit à la morgue. La mère, Vera, n'est pas franchement un modèle de tendresse. Imprévisible, colérique, en proie à des sautes d'humeur dévastatrices, elle abandonne ses trois enfants après le décès de son mari.

Marya et ses deux frères sont alors recueillis par leur oncle Everard et sa femme Wilma, qui ne valent guère mieux que leurs parents. 

Marya devient dès lors le jouet favori de son cousin Lee, qui exerce sur elle sa cruauté, la soumet à ses pulsions les plus sauvages, à ses élans les plus malsains.

Mais Marya n'a pas dit son dernier mot : élève brillante, douée pour l'écriture, elle trouve dans la littérature un exutoire bienvenu, un outil pour forger son propre destin et s'extraire du marasme nauséabond de sa jeunesse.

Evidemment, il est impossible de ne pas déceler la propre histoire de Joyce Carol Oates dans le parcours hors du commun de la jeune Marya Knauer. Impossible de ne pas la voir en filigrane, derrière ce personnage bouleversant aux prises avec la dureté du monde, mais doté d'une force vitale qui lui permet de venir à bout du malheur.

De nos jours, et vous l'aurez sans doute remarqué, la littérature se doit d'être "distrayante" avant tout. C'est-à-dire édulcorée, creuse, colorée comme un bonbon. Vite consommée, vite digérée. Et surtout pas trop difficile, parce que bon, réfléchir c'est fatiguant... En témoigne le succès de Marc Lévy, Guillaume Mussot, Anna Gavalda et consorts.

Avec Joyce Coral Oates, on est loin de cette "littérature" de supermarché. "Marya" n'est pas un feel good book, pas une friandise destinée à distraire la populace pendant les après-midis à la plage, non, c'est un coup de poing. Un livre dur, âpre, brutal, qui ne ménage pas ses lecteurs. 

Joyce Carol Oates aborde ici l'un de ses sujets de prédilection : la violence des hommes, la façon dont elle s'abat sur les femmes - et la façon dont ces mêmes femmes se révoltent, luttent, et terrassent leurs bourreaux.

Elle nous montre le monde tel qu'il est, déchire le voile des apparences pour faire apparaître la fange, les immondices, les travers les plus ignobles de nos sociétés modernes. Est-ce pour autant pénible, désagréable ? Non, mille fois non ! "Marya" nous emporte, ne nous lâche plus, nous captive jusqu'à la fin. Le style de l'auteur n'est évidemment pas pour rien dans cette réussite : sauvage mais précis, brut mais empreint de poésie, il est absolument dénué de maladresses ou de lourdeurs. Tout sonne juste, tout est vrai et percutant.

"Marya" est un livre dur, sans concessions, mais absolument nécessaire. Il nous invite à la réflexion, nous invite à regarder en face ce que nous n'avons pas envie de voir, à sonder notre propre néant. Une invitation qu'il serait dommage de refuser...

Quelques extraits :

"Ce fut une nuit de rêves chaotiques entrecoupés de voix inconnues, où la pluie tambourinait sur le toit goudronné. Avant de s'éveiller Marya vit entre ses paupières la forme vacillante de sa mère dans l'embrasure de la porte ; elle entendait un chuchotement rauque - pas de mots distincts, seulement des sons. La respiration sifflante de colère de sa mère. Les sanglots. Les quintes de toux."

"A treize ans, Marya était l'une des filles les plus grandes de quatrième ; elle n'avait pas une ossature lourde, mais un corps musclé, de longues jambes, des hanches étroites, des gestes vifs, nerveux. Elle ressemblait à un jeune poulain qui n'a pas encore été rompu, dit une fois un professeur sans se douter qu'elle l'écoutait."     

    

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